2 juillet 2025

Inspiration végétale

par Françoise P.

La menace de l’orage a empêché l’atelier d’écriture de se tenir, comme prévu, dans le parc Georges Brassens, et pourtant l’esprit vagabonde de jardin en jardin, de cerisiers en fleurs en massifs de roses jusqu’à ce que retentisse le signal. Il est temps d’arrêter le flux des mots pour livrer leur moisson : la lecture de ce texte.

Le texte de Françoise P.

Et si nous nous étions promenées dans ce coin champêtre de la ville alors que l’orage éclatait, nous aurions couru à perdre haleine jusqu’au parc qui porte le nom du héros du jour, le compositeur poète. Nous nous serions assises sur un banc, attendant sous un petit coin de parapluie la fin de l’orage, les bonnes gens nous auraient regardées de travers, nous, les passantes d’un jour.

Mais non, l’orage était prévu par la météo depuis le matin mais au fil de la journée il avait reculé dans le temps de sorte qu’à l’heure de nos retrouvailles, ce n’était plus un orage prévisible mais un évènement complètement imprévisible ;   la chaleur qui le précédait devenant de plus en plus accablante, nous nous sommes rabattues tout naturellement sur le lieu habituel de nos écritures, autour de la grand’ table.

Le poète toujours en tête, nous nous mîmes au travail mais malheureusement mon imagination me joua des tours. La rebelle ne me donnait rien à me mettre sous la dent.

Dans une demi-somnolence que la chaleur atténuée cependant, produisait, je me mis à me promener dans les jardins de mes souvenirs, ils défilaient dans ma tête :

La chaisière avec son petit panier sur le ventre serre de près les resquilleurs ; les amoureux ne trouvent pas grâce à ses yeux quand ils veulent roucouler sur le même fauteuil de métal ajouré, ils doivent régler double tarif. Dans leur dos au loin, l’Arc-de-Triomphe dans l’œil de l’obélisque, s’aperçoit ; la longue perspective ne dévoile pas encore les futures tours de la Défense.

Elle vole, elle vole sur son vélo électrique ; sa jupe offre une corolle à chacun de ses mollets cuivrés. Elle se dirige vers le Luxembourg. Elle s’approche de la pièce d’eau où tous ces marmots font voguer leur petit bateau. Elle voudrait d’une pichenette les voir tomber dans l’onde, ces gamins, le derrière rebondi planté vers le ciel bleu qui n’a rien à en dire. Il se contente de faire son boulot en étalant avec soin sa promesse d’azur.

Plus loin, dans un tableau étonnant, les anciens au corps digne mais malmené par la vie font leur séance de qi gong ; leurs gestes sont tellement lents qu’on s’imagine les toucher du doigt pour les actionner plus rapidement.

Elle bifurque tout à coup et se lance dans une longue course. Elle avait oublié le hanami, la contemplation japonaise des cerisiers en fleurs, que célèbre, sans cérémonie, le Parc de Sceaux. Les arbres sont magnifiques avec leur lourde couronne rose de fleurs épanouies. Comme il est dommage que les visiteurs envahissants installés au pied de chaque merveille rompent l’harmonie du tableau avec leurs couleurs bigarrées, criardes, leurs tenues débraillées et davantage encore leurs cris inappropriés à la splendeur des lieux.

Enfin se souvenir d’une roseraie, de toutes les roseraies entrevues. S’arrêter devant chaque fleur, contempler le velours de ses pétales, rechercher son parfum. Éblouie en le retrouvant et toujours surprise, ou peut être déçue par celles qui sont nées sans fragrance.

Attarder son regard sur une fleur parfaite, d’un jaune délicat, d’un rose poudré, toujours réinventé, comparer leurs effluves légers sublimés par une goutte d’orage et se dire que déjà demain, elles seront différentes. Les révérer et les maudire parfois car plus qu’avec toute autre fleur, c’est chaque année, à la floraison des roses que l’on doit prendre conscience du temps qui passe.

J’en redeviens pleinement consciente car l’heure est venue de la lecture à tour de rôle de nos textes. La sixième position m’échoit et je livre ma maigre moisson.

Déjà les esprits sont ailleurs en ce mois de juin ; les vacances sont proches et comme pour les écolières en fin d’année, le groupe se distend, chacune reprenant son individualité. Il n’est plus question de se retrouver autour d’un pot, il est trop tard, chacune est affairée ailleurs.

On se disperse, la nuit est tombée et l’orage est toujours menaçant. Il faut prendre des chemins différents pour rentrer chez soi au plus vite et éviter ainsi qu’il ne se déverse sur nos têtes ; ce serait somme toute un peu trop tard pour s’asseoir sur un banc sous un petit coin de parapluie !

Références

  • Thème de l’atelier au cours duquel a été écrit ce texte : Habiter en poèmes et en chansons.
  • Proposition d’écriture : Un homme, une femme, un enfant déambulent dans le jardin, le parc (Georges Brassens ou un autre). Il est submergé par de multiples impressions, ses préoccupations du moment et ce qui remonte de sa mémoire. Suivez-le, mettez-vous dans son corps et sa tête, et laissez s’exprimer ses sensations et ses pensées…
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